DÉSIRER LE MONDE AVEC MYRIAM BAHAFFOU

Peut-on faire de l’érotisme une force politique écologique ? Censored Online vous propose de traverser le creux de l’été avec Myriam Bahaffou, chercheuse en philosophie et militante écoféministe décoloniale. Dans son nouvel essai Éropolitique - Écoféminismes, désirs et révolution (éd. Le Passager clandestin), elle ravive la place de l’érotisme et du plaisir dans les luttes, en les inscrivant dans une réflexion écologique, décoloniale et queer. Loin des injonctions à l’épanouissement individuel et des récits fantasmés de l’amour libre, elle propose une ouverture sensible et collective sur le monde. L’éropolitique nous rappelle alors que la puissance désirante est le moteur de toute action révolutionnaire. Avec Myriam Bahaffou, il ne s’agit pas de penser sur, mais depuis les affects, les chairs, les milieux, les zones troubles et fertiles où se croisent animalité, écologie et révolte. Dans cette perspective, elle rappelle que nous ne sommes pas séparé·es de la nature : nous en faisons partie, avec elle nous partageons une condition commune. Entretien.

Myriam Bahaffou par Solal Moisan

Au début de ton essai, tu expliques vouloir volontairement minimiser le vocabulaire sexuel et la libido freudienne, ayant largement contribué à paralyser la pensée éropolitique. Tu expliques que tout est assez systématiquement ramené au génital, ou l’objet de déformations (je pense ici aussi au passage sur la zoophilie, que tu redéfinis plus simplement comme “l’amour des animaux” sans connotation sexuelle). Pourrais-tu expliquer la différence entre désir-conquête et éropolitique ?

Premièrement, je ne voudrais pas rendre Freud responsable de toute la restriction de l’érotique au sexuel. Je dis simplement qu’aborder le désir semble aujourd’hui devoir se faire exclusivement par le truchement de la psychanalyse, qui est non pas un élargissement mais une réduction de ce que j’entends par désir, puisque je lui donne aussi un sens politique, c’est à dire “systémique”, et de fait, qui a tout à voir avec l’organisation sociale et matérielle de la race, du genre, du handicap, de la classe (d’où le terme éropolitique). Sans d’ailleurs parler des biais patriarcaux ou racistes de la psychanalyse - que des queerféministes et antiracistes commencent à mettre au jour depuis plusieurs années, certains avec beaucoup de justesse (je pense au travail de Thamy Ayouch par exemple). Bien évidemment, c’est la société patriarcale comme on la connaît qui a réduit de manière si drastique le champ de l’érotique à la sexualité génitale, qui plus est hétéro et privée. Tout ce qui était en dehors de ça s’est vu taxé dé déviance, et aujourd’hui plus que jamais. En même temps, le transgressif a progressivement été considéré comme particulièrement excitant dans la société bourgeoise, faite de civilités et de restrictions. C’est parce que la sexualité a tellement été construite sur ces (fausses) lignes (animalité, dé-civilisation, folie) que tout ce qui est dangereux, interdit, et violent est érotisé au plus haut point, et ça culmine dans la culture du viol et la prédation sexuelle envers les corps racisés. Et c’est précisément ça que j’appelle désir-conquête, et qui dépasse largement la sexualité : notre définition du désir repose sur ce triptyque manque/possession/accumulation. On le voit dans le capitalisme, le colonialisme, et l’hétéropatriarcat, où les corps (y compris le nôtre) sont des objets de conquête, de propriété, de contrôle. Vu que ta question aborde la zoophilie (et c’est probablement une des parties les plus polémiques de mon livre, donc je comprends l’intérêt), il me faut clarifier d’emblée que je défends le consentement animal (je me positionne ainsi contre celleux qui affirment que des animaux autres qu’humains sont par nature capables de consentir), mais je refuse l’idée qu’un désir ou un amour des animaux (ce que zoo-philia signifie, littéralement) est nécessairement à ranger du côté de la sexualité déviante et/ou du viol. Je veux aussi attirer l’attention sur la façon dont la “zoophilie” (qu’il convient plutôt d’appeler zoosexualité ou bestialité, comme en anglais) a toujours historiquement été associée à d’autre pratiques qui concernaient des minorités déviantes, les homosexuel·les en particulier ainsi que les sorcières pendant leur féminicide de masse (aujourd’hui encore, la sodomie est souvent perçue comme un acte animal avant tout). La zoophilie comme je l’entends, c’est s’autoriser à éprouver du désir animal, c’est à dire qui n’a pas besoin du socle humaniste pour se rendre lisible, et qui donc ne s’exprime pas dans les limites du genre, de la race ou de l’espèce. Je m'appuie notamment sur la figure de la chienne développée par Itziar Ziga, une penseuse qui m’a énormément nourrie dans la construction de mon éropolitique ; à la différence que j’y ajoute une proposition écologique solide. Non seulement le désir et le plaisir n’ont pas à être confinés au sexe, mais surtout, aucune lutte ne se fait sans désirer le monde. Pas au sens métaphorique, mais concret et viscéral ; désirer les formes de vie autour de nous et chérir la biodiversité est un impératif moral qui ne s’enracine pas uniquement dans la logique mais bien aussi dans les affects. Je crois que c’est particulièrement parlant en ce moment, où le fascisme globalisé est en train d’éteindre un monde devant nos yeux, où le gouvernement d’Israël en complicité avec les nôtres anéantit un pays et essaie de faire taire une civilisation entière. L’éropolitique dans cette perspective n’est pas “juste” de la joie militante, c’est retrouver une puissance à l’idée de perpétuer la vie autour de nous, à lutter et à faire de l’écologie un enjeu principalement érotique, relationnel, pour maintenir et accroître la diversité des mondes dans le monde.


“Non seulement le désir et le plaisir n’ont pas à être confinés au sexe, mais surtout, aucune lutte ne se fait sans désirer le monde.”


Éropolitique - Écoféminismes, désirs et révolution

“Trash, vulgaires petasse, sophistiquée, femme fatale ou babygirl, bimbo ou housewife, j’ai circulé entre elles comme entre les wagons d’un train, tantôt en premier ou seconde classe, et parfois même en passagère clandestine”. Tu ravives des figures souvent disqualifiées : bimbo, TDS, chienne, housewife, créature non-humaine - en mettant particulièrement l’accent sur ton vécu et l’hyperféminité. Qu’est-ce qu’on gagne à penser politiquement avec celles qui ont toujours été exclues, ridiculisées ou jugées too much ?

Pour être tout à fait honnête, je ne sais pas vraiment ce qu’on “gagne”, je sais plutôt ce qu’on perd à ne pas les intégrer. De fait, les hyperfems ont une histoire compliquée vis à vis de leur genre, mais c’est principalement une histoire d’affirmation, de bataille jamais complètement gagnée, une histoire qui saute aux yeux et qui met mal à l’aise, précisément parce qu’elle rend visible toute la construction, tout le travail derrière l'expression de genre qu’iels dénaturalisent sous nos yeux. Je crois surtout que - pour les hyperfems en tous cas - le reste renvoie à trop de catégories dont il faudrait un paragraphe sur chacune. On se prive d’un point de vue sur le désir, le plaisir et le sexe qui me semblent essentielles à tout espace de lutte, et que répéter l’érotophobie qui caractérise si bien nos sociétés hétéropatriarcales (où les hommes haïssent ce qu’ils désirent le plus), c’est se tirer une balle dans le pied pour tout projet d’émancipation. Et j’aimerais savoir ce que “too much” signifie exactement, too much par rapport à quoi ? A une norme blanche qui vit ses émotions sur le mode de la régulation, du catalogue froid et distancié ou la “psychologie féministe” ? Too much en termes de volume sonore, de couleur des vêtements ? Le too much n’est jamais too much en soi, c’est une exclusion progressive de ce qui devient suspect selon une norme, elle-même dictée par les dominant·es. Évidemment, le “too much” est souvent non blanc, non cis, non hétéro, non valide. On a l’habitude, d’être les folles de service. Et ma proposition est justement de puiser dans cette in-adaptabilité au monde pour construire une proposition politique, hors des enjeux de reconnaissance et de dignité.

“Humaniser autrui, voilà une aspiration politique obsolète et on ne peut-plus anti-écologique, dont l’échec, tout comme celui de l’humanisme, est accablant sous le capitalisme patriarcal et colonial.” Tu travailles une critique radicale de l’humanisme : cesser de penser l’humain comme unique mesure de valeur, penser avec et non au-dessus, des autres espèces, embrasser notre animalité plutôt que la fuir. 

Je travaille dans ma thèse à partir du posthumanisme et des théories décoloniales, qui sont tous les deux des cadres théoriques qui critiquent frontalement l’idée de l’humanisme comme système de valeur pertinent politiquement. Cette critique de l’humanisme est développée dans mon précédent livre, Les Paillettes sur le compost et bien avant dans mon travail académique. Elle vient aussi de mon antispécisme : aucun intérêt de défendre la “cause animale” si c’est pour préserver notre béatitude devant “l’exceptionnalité” humaine : mon antispécisme se loge dans une critique de l’humanisme en premier lieu. Et écologiquement, l’urgence est encore plus palpable : si nous considérons réellement l’interdépendance, la relationnalité, comme les écoféministes le font, alors nous n’avons pas le choix que de critiquer l’humanisme, qui est justement une idéologie de l’autonomie, la liberté individuelle, poussée à son paroxysme dans le transhumanisme. Dans ce que j’étudie, je montre comment “l’humain” est une construction tout à fait coloniale et spéciste : ont été désigné·es humain·es une minorité très restreinte d’entre nous, et la catégorie d’animal a joué un rôle essentiellement négatif ; sont animal·es celleux qui sont déchu·es de l’humanité. En fait c’est la césure même entre humain et non humain, nature et culture, qu’il me paraît essentielle de questionner (comme l’ont fait un grand nombre de philosophes décoloniaux, féministes  ou en écologie politique). Disons que ma manière à moi de remettre en question l’existence même de cette césure, sa pertinence et ses conséquences politiques, c’est de m’attacher l’animalité, comme l’a fait la philosophe Sylvia Wynter pour comprendre la condition des noir·es. Ca signifie qu’être antispéciste revient forcément à prendre au sérieux notre propre animalité, et la façon dont cette dernière a été construite sur des lignes coloniales. Et la question de la souffrance animale rend la question encore plus pressante ; pas parce que les véganes seraient de naïfs êtres qui refusent la mort, mais parce que considérer que la mort est la norme, la base d’un “vivre-ensemble”, est catastrophique. J’ai l’exigence éthique de me dire qu’on peut faire mieux qu’accepter de vivre dans un système nécrophile qui a pour base économique et sociale la mise à mort d’individus. Et au lieu d’être taxé·es de naiveté, je pense qu’on devrait ici reconnaître toute la puissance d’une telle proposition, qui s’ancre encore une fois dans un désir du monde, qui, s’il est forcément traversé de violence, ne devrait jamais l’institutionnaliser et en faire une norme.


“L’humain” est une construction tout à fait coloniale et spéciste : ont été désigné·es humain·es une minorité très restreinte d’entre nous, et la catégorie d’animal a joué un rôle essentiellement négatif ; sont animal·es celleux qui sont déchu·es de l’humanité.


Tu écris que la gauche écologiste ou les sphères militantes ont déserté le plaisir, et que cette culture du sacrifice nous prive d’un rapport sensuel au monde. Pourquoi, selon toi, cette méfiance vis-à-vis du luxe, du soin de soi ou du raffinement ?

Je fais ce constat à partir de deux “parties” de la gauche : l’écologie et le féminisme. Ces deux espaces ont mis de côté la question du désir, ou plutôt canalisé uniquement dans “la lutte” parce que le capitalisme et le patriarcat en ont fait les moteurs de leur systèmes. L’hétéropatriarcat suinte de désir, on a que ça aux oreilles, la “crise de la masculinité”, les mâles alphas en perdition, etc etc ; et du côté du capitalisme, le désir est entièrement tourné vers la consommation, nous sommes des machines à bouffer et acheter. Du coup, ça fait sens qu’on ne trouve pas grand chose de désirant dans ces espaces, hormis la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, ou la sobriété volontaire. Mais c’est précisément là où ça me pose un problème, parce qu’on fait comme si on pouvait se “purifier” de nos désirs, ou les mettre de côté. Or, je crois que la force des mouvements révolutionnaires, en particulier queers, c’est d’avoir su ne jamais mettre sous le tapis la question du désir, la place du corps, de son débordement des cadres.

Tu réinvestis des terrains que le capitalisme, y compris le féminisme néolibéral, ont vidés de leur substance : le care, l’animalité, l’ultraféminité, la jalousie. Là où d’autres rejettent ou caricaturent, tu nuances, réconcilies, sans diluer. Je trouve que tu proposes une pensée complexe mais jamais accablante, qui ne cherche pas à culpabiliser mais à ouvrir des possibles. Est-ce que cette manière de “dire les termes” sans condamner est une posture politique délibérée ? Et comment trouves-tu cet équilibre entre critique radicale et accueil des contradictions ?

C’est une posture politique délibérée au sens où j’essaie de lui donner le maximum d’intentionnalité, de présence, mais elle n’est pas délibérée au sens de “choisie”, comme si il y avait eu au préalable une prise de décision raisonnée. Je suis née le cul entre mille chaises et j’ai choisi d’habiter le vide, ou plutôt les interstices entre ces chaises. Je crois que ça donne à la pensée en général une incroyable vitalité, une flexibilité et une adaptabilité qui ont fait, par exemple, des Paillettes sur le compost un ouvrage qui a pu traverser plein de milieux, tout en ne perdant rien de sa radicalité. Mais en même temps, bien sûr c’est dangereux. C’est dangereux parce que je ne joue pas sur le registre de l’affirmation et de la présence, mais plutôt sur les lignes de fuite et les “oui mais”... À chaque fois, je suis un peu l’avocate du diable, et ce n’est pas rhétorique, c’est vraiment pour montrer que rien n’est jamais gagné, rien n’est jamais acquis, qu’il y a toujours des angles morts. Je crois que j’ai beaucoup ce rapport-là avec le milieu militant, mais je le dis souvent, c’est aussi un acte d’amour que de s’engager sur un tel terrain avec quelqu’un·e. La culpabilité est probablement la chose la plus paresseuse aujourd’hui, et je pense évidemment à ce qu’on appelle “culpabilité blanche”, où tout le monde se bouscule pour être de bon.nes allié.es antiracistes mais dès que l’on ose pointer quelque chose qui ne va pas, on a l’impression de les avoir condamné·es pour la vie, et le mot de “racisme” devient juste inentendable. À côté de ça, le best-seller féministe de l’année s’appelle Résister à la culpabilisation, comme si c’était, tout à coup, le phénomène psychologique le plus accablant à l’échelle de la société. Au contraire, on ne parle pas de racisme décomplexé ou de banalisation des idées de l’extrême droite pour rien : il y a une injonction à la haine et une déculpabilisation ambiante, bien plus symptomatiques de nos sociétés. On peut désormais affirmer à la télévision que le mot “nazi” devrait être réhabilité ou que les musulman·es sont responsables de tous les maux. Bien au contraire, l’heure est à la déculpabilisation extrême, l’idée qu’on peut se montrer dans toutes ses horreurs et ses pulsions destructrices. Alors comme d’habitude, je suis dans une posture qui refuse les deux options : ni culpabilisation qui paralyse l’action et individualise la faute, ni “déculpabilisation” comme si l'impératif c’était de se sentir bien, ou libre. 

“La nature est pétrie d’érotisme et nous vivons des expériences écosexuelles tous les jours. Quand je déguste une pêche juteuse, quand je sens les rayons du soleil me caresser voire me brûler le dos, quand je trempe ma jambe dans l’eau glacée, quand j’ai froid. Le corps sue ou frisonne, la peau de hérisse, les lèvres salivent ; toutes ces manifestations corporelles, on jurerait que c’est du désir.” Pourquoi y a t-il une résistance à voir les choses ainsi ?

Là encore, c’est l’hégémonie du désir-conquête qui en est la cause. Ça m’a pris des années pour conscientiser l’érotisme dans mes expériences de vie quotidiennes (et pas seulement au sexe) de le reconnaître, d’en jouir, de le partager. J’ai dû faire ça contre des injonctions constantes pour considérer le monde qui m’entourait comme des choses dépourvues de valeur ; c’est bien ce qu’on voulu pointer les éthiciennes féministes quand elles ont politisé le mot care, au sens de  l’attention. Porter attention à, c’est vivifier ce qui m’entoure et déplacer la perception que j’en ai, non pas comme un environnement, mais comme autant d’occasions d’entrer en relation avec lui, pas en tant qu’humaine surplombante, mais en tant que partie de ce réseau, de ce tissu relationnel. Et rien que ça, c’est jouissif. Là, il y a une promesse écologique révolutionnaire, et ce livre en est une tentative de théorisation. Mais qui ne vaut rien sans la partie charnelle, expérientielle, justement développée à la fin.

La troisième partie de ton livre est intitulée “L’expérience au cœur de l’éropolitique” - rappelant que nos savoirs, notre agentivité et visions du monde de construisent à partir de nos expériences sensibles. Avons-nous tout simplement oublié que nous étions des corps ?

J’ai du mal à répondre à cette question, ou plutôt je crois qu’il existe deux réalités paradoxales qui cohabitent ; d’un côté, je crois en effet que nous vivons dans un monde dés-encorporé, où nous nous transformons en entités numériques, en flux virtuels ou en entités hors sol qui circulons comme du pur mouvement, toujours pro-jetés dans l’après et jamais pleinement présent·es, au rythme du capitalisme néolibéral. De l’autre, nous ne sommes que des corps : des corps sur-exposés, botoxés, affamés ou sur-nourris, tirés à quatre épingles et scrutés sous tous les angles sur les réseaux. Peut-être, finalement, que nous n’avons jamais été autant des corps, rien que des corps, dont il faut se préoccuper constamment, en contrôlant le nombre d’heures de sommeil par nuit et de pas par jour, ses calories et son activité physique. Si bien que ces corps sont mesurés, chronométrés, médicamentés, saturés de douleur et de plaisir que l’on souhaite contrôler au maximum individuellement. Et justement, là-dedans le désir ne peut émerger que sous la forme d’une fuite, d’un soulagement, d’une sortie de cet enfer du contrôle. Je crois donc que nous gagnerions en effet à reprendre l’érotisme comme une manière d’habiter non pas simplement nos corps mais le monde et autrui (d’où la partie sur le consentement et l’éthique de l’inattendu), à être en capacité d’écoute et à se laisser pénétrer par lui, au lieu de vouloir tout tenir et régler les conditions même de la rencontre. Le propre de la rencontre est le dépassement de la limite : je n’expérimente vraiment que ce qui me dépasse. De fait, ma vie n’est pas un ensemble de paramètres à régler cliniquement pour attendre un résultat, mais plutôt la mise en place de conditions qui font que je peux être bousculé·e, sans cesse. Et cela requiert un travail perpétuel. J’affirme que ce travail est écologique, dans la mesure où il nous branche à d'autres êtres, d’autres forces, qui nous forcent à accepter notre finitude. Car peut-être, et je terminerai ici, que c’est là que se joue le véritable refus du corps finalement - et c’est là la pertinence, plus que jamais, des luttes antivalidistes - elles nous font voir la finitude, la contrainte, le vieillissement et la mort comme des impensés écologiques fondamentaux. Tant que nous ne nous attellerons pas à cette tâche, celle de prendre en charge, reconnaître, assumer nos limites, nous ne pourrons désirer qu’en niant cette dimension de nous-mêmes et du monde, et reproduirons constamment la conquête dans le désir...

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